14 décembre 2022
Les risques sanitaires pour les consommateurs de contenants alimentaires
L’actualité récente a mis en évidence les dangers pour les consommateurs, liés à l’utilisation de moules à pâtisserie en silicone.
Voici donc une illustration parfaite des risques sanitaires qu’encourent les consommateurs de contenants alimentaires non maîtrisés par le fabricant.
Et c’est bien celà que veulent éviter les textes de loi qui encadrent la vente de contenants et matériaux à contact alimentaire (MCDA).
Notons que les textes européens qui encadrent la vente de céramiques alimentaires sont pour 2 d’entre eux des règlements qui portent sur la vente de TOUS LES CONTENANTS et MATÉRIAUX au contact de denrées alimentaires (règlements UE 1935/2004 et 2023/2006).
Ainsi ils imposent donc les mêmes exigences de transparence vis-à-vis du consommateur, de traçabilité et de bonnes pratiques de fabrication. Et celà s’applique que l’on mette sur le marché des assiettes en bois, des couverts en inox, des barquettes en alu, des pots en plastique pour la crème fraiche, des casseroles, des biberons, des moules à gâteau en silicone ou des verres en cristal.
En effet, les textes visent à protéger les consommateurs en obligeant les producteurs à assurer l’inertie chimique des objets et matériaux MCDA. C’est-à-dire assurer qu’ils « ne cèdent pas aux denrées de substances en quantité susceptible de présenter un danger pour la santé humaine, d’entraîner une modification inacceptable de la composition des denrées ou d’entraîner une altération organoleptique de celles-ci » (article 3 du règlement 1935/2004).
La priorité a été accordée aux contenants en matière plastique
Ces 20 dernières années des moyens ont été mis sur l’étude des contenant en matière plastique (issue d’hydrocarbures fossiles), considérant l’ampleur de leur utilisation depuis la « révolution du plastique » des années 60 -70. Ainsi il existe depuis 2011 un règlement spécifique protégeant les consommateurs au sujet des contenants en plastique (règlement UE 10/2011).
Donc un cadre réglementaire datant de presque 40 ans …
Ainsi ce texte n’encadre QUE la migration de plomb et de cadmium, deux éléments dont la plupart des composés chimiques sont classés cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (« C.M.R. »). J’ai déjà rédigé plusieurs articles sur ces substances qualifiées de « extrêmement préoccupantes » par l’Agence Européenne de la Chimie, en application des critères du règlement européen des substances chimiques dit REACH (règlement 1907/2006).
Mais il fait l’impasse sur tous les autres composants chimiques dangereux pour la santé du consommateur, et qui peuvent migrer dans les aliments.
Les céramiques alimentaires contiennent couramment des substances dangereuses
En effet, les revêtements vitreux des céramiques alimentaires sont couramment bourrés d’autres composés dont les dangers pour la santé sont pourtant bien connus aujourd’hui grâce notamment aux études de l’EFSA.
Certains pays de l’Union ont ainsi adopté des normes nationales spécifiques plus contraignantes (1). L’Autriche a fixé des limites de migration sur Zinc, Antimoine et Baryum. La Finlande sur Chrome et Nickel. Les Pays-Bas sur Arsenic, Baryum, Bore, Chrome, Cobalt, Mercure, Lithium, Rubidium, Selenium, Strontium. La Norvège en a défini une sur le Baryum . En France, la DGCCRF a défini des normes à respecter sur la migration d’Arsenic, Aluminium et Cobalt (2).
Parce que oui, c’est assez fou mais ces éléments se retrouvent couramment dans les articles en céramique et particulièrement dans les éléments de décor. Pourquoi ? D’une part pour leurs propriétés chimiques permettant de baisser la température de fusion de la silice (élément central de la constitution de la couche de verre qu’est l’émail). Et d’autre part pour leurs propriétés de coloration, d’effets de surface.
Mais il est possible de s’en passer. Et c’est tout le sens de mon travail inspiré des travaux de Daniel de Montmollin et Patrick Buté (3). Sans attendre que la règlement se mette à jour des connaissances actuelles en toxicologie.
Un gros retard dans la protection du consommateur de céramiques alimentaires et aucun label
Pourquoi un tel retard réglementaire sur le sujet des céramiques ? Je n’ai pas d’explication claire, sinon l’intuition que la machinerie législative européenne a des contraintes de moyens, comme tout organe. Elle gère donc les priorités comme elle peut, au regard d’une évaluation des impacts du risque. Les contenants en matière plastique carbonée sont omniprésents dans les cuisines et rayons de supermarché. Ce n’est pas le cas des céramiques. Alors parons au plus pressé.
Notons aussi que les réglementations européennes sontt structurellement difficiles à mettre en place : 27 pays à accorder ; force de frappe des lobbyistes ; le courage politique comme denrée rare. Elles sont donc souvent en retard de plusieurs wagons (cf. les allers-retours sur les sujet du glyphosate et des néonicotinoïdes).
Alors j’ai cherché ailleurs que dans la réglementation une vision plus « à jour » des connaissances et plus exigeante pour le bien du consommateur. J’ai pensé qu’il existait peut être un label pour les contenants alimentaires « vertueux ». A l’image des filières alimentaires en agriculture non conventionnelle, de certains producteurs de cosmétiques, textiles, détergents etc. qui ont établi des cahiers des charges plus exigeants que les réglementations. Je pensais trouver quelque chose sur les contenants alimentaires chez Ecocert, Nature & Progrès ou à l’AFNOR. Mais rien. Pas de cahier des charges non plus chez les distributeurs estampillés « Bio » tels Biocoop, La Vie Claire, Naturalia etc.
A ce sujet, je ne peux m’empêcher de partager la réponse reçue d’une enseigne bio « Nous vous informons que ne nous ne communiquons pas ce type d’information ». Ah pardon de vous importuner, je suis juste une consommatrice en quête d’information sur les produits que vous me vendez !
Sur la base des réponses reçues à mes mails j’en ai donc conclu qu’il n’existe aucun label à ce jour pour distinguer des articles en céramique vertueux dans leur procédé de fabrication et inertes sur le plan chimique. C’est à dire garantissant au consommateur qu’il ne relarguent ni plomb, ni cadmium MAIS AUSSI ni mercure, ni chrome, ni baryum, ni bore, ni lithium, ni cobalt, ni cuivre etc …
La réglementation des contenants alimentaires va évoluer et les consommateurs peuvent s’exprimer
Mais tout n’est pas sombre. Les travaux de la Commission Européenne sur la refonte des réglementations MCDA connaissent un coup d’accélérateur depuis 2017, notamment sur le sujet des céramiques et matériaux vitreux.
Ainsi je ne désespère pas qu’un jour on interdira tout simplement la présence d’intrants cancérogènes/mutagènes/reprotoxiques (CMR) dans les contenants alimentaires. Et qu’on encadrera sérieusement, de façon harmonisée dans les 27 pays de l’Union , le risque de migration de composants dangereux, et pas seulement le plomb et le cadmium.
Je sens bien que je bouscule quand j’avance l’idée de supprimer les substances cancérogènes / mutagènes / reprotoxiques (CMR) dans les contenants alimentaires. Car le plomb est encore largement utilisé dans les couleurs vitrifiables de 3ème feu et les émaux de basse température en céramique, mais aussi directement comme composant de certains contenants alimentaires en verre.
Et la Lorraine que je suis, admiratrice depuis toujours des créations des manufactures Daum et Baccarat, ne peut l’ignorer : le cristal contient au moins 24 % d’oxyde de plomb (PbO) en masse.
Les dangers sanitaires du cristal
Pour apprivoiser le sujet simplement je vous propose la lecture de deux courtes publications numériques : la première émane du gouvernement Canadien et illustre les impacts pour la santé de la consommation d’aliments dans des contenants en cristal. L’article évoque également le sujet du cadmium.
En synthèse, il indique pour ce qui est du plomb : « Le risque de libération de plomb est plus faible si les contenants en cristal au plomb sont seulement utilisés au cours des repas. Des études ont révélé que la quantité de plomb présente dans les boissons alcoolisées et non alcoolisées consommées dans un verre en cristal au cours d’un repas est habituellement bien en deçà de 0,2 partie par million, concentration maximale permise dans les aliments et les boissons au Canada. Cependant, des concentrations de plomb allant jusqu’à 20 parties par million – 100 fois plus élevées que la limite canadienne – ont été observées dans du vin conservé durant des semaines dans une carafe en cristal. »
Les facteurs qui accentuent la migration d’éléments chimiques dans les aliments
Ce résumé du gouvernement Canadien illustre très bien 2 des facteurs qui favorisent l’altération des surfaces et donc le risque de migration des éléments chimiques au contact de denrées alimentaires :
- Le contact avec les liquides (soupe / boissons, contenants de conservation tels les jarres de fermentation, vinaigriers, pots à cornichon, flacons, etc…)
- Le contact avec des composés à pH acide (vin, citron, thé, café, sauce tomate, vinaigre, rhubarbe etc.).
Pour être complet il faudrait y ajouter :
- La chaleur (passage au four à micro-ondes, au four traditionnel, sur plaque de cuisson, au lave-vaisselle),
- Le contact avec des composés à pH basique (produits d’entretien et notamment poudres/gels pour le lave-vaisselle),
- Les chocs mécaniques (tressaillage, empilement etc..).
L’autre article n’est malheureusement accessible qu’aux abonnés de l’Usine Nouvelle : il date un peu (2018) mais expose les mesures prises par les manufactures du cristal pour abaisser la migration du plomb dans les aliments consommés. Il est intéressant de constater que ces mesures sont motivées par la « menace » de la baisse drastique des limites de migration du plomb autorisées aujourd’hui dans la directive de 1984. Dans le cadre d’une consultation de la Commission Européenne en juin 2021, il était en effet question de diviser les limites actuelles par 300 !
Ce qui est bien triste toutefois, c’est que seule la « menace » réglementaire fait bouger les pratiques artisanales ou industrielles. Le bâton.
Produire et consommer de façon responsable et durable
Pourquoi donc est-ce si difficile à tout un chacun, auto-entrepreneur, dirigeant d’une PME ou d’une grosse structure, de se prendre en mains pour changer les choses à son niveau ?
Bien entendu, l’impact direct pour le consommateur qui se nourrit DANS les contenants alimentaires n’est pas le seul sujet de préoccupation. Quand on tire le fil de la bobine on trouve quoi derrière certaines matières premières ?
Des méthodes d’extraction peu regardantes sur les conditions des populations et écosystèmes locaux
S’intéresser aux impacts sociaux et environnementaux de l’extraction du cobalt en RDC ou celle du lithium en Bolivie pour pointer du doigt l’industrie des batteries électriques n’a aucun sens, si l’on n’en profite pas pour considérer ses propres pratiques de consommation.
Et balayer devant sa porte. Notamment en s’interrogeant sur la composition de ces préparations pour émaux toutes prêtes, à très large plage de fusion et résultat esthétique garanti. Ce petit miracle chimique de l’industrie céramique porte aussi le nom de « lithium »
Des bilans carbones très lourds en terme de transport des matières premières et de procédés de fabrication
Cuire une céramique à 1000° /1300° ou fondre un cristal à 1400° ne se font pas d’un coup de baguette magique.
Alors si l’on n’arrive pas à renoncer à une activité créatrice extrêmement énergivore, essayons au moins de ne pas faire venir nos matières premières de l’autre bout du monde.
Des cycles de production ne prenant pas toujours en compte la santé des travailleurs et les normes d’évacuation des déchet
L’article d’Usine Nouvelle déjà cité aborde le sujet pour le milieu manufacturier.
Mon expérience de formatrice dans le milieu de la céramique artisanale me permet d’avancer que la nature des émissions gazeuses des fours céramiques n’est pas un objet d’études ni d’enseignement.
Que les obligations relatives au traitement de nos déchets ne sont pas connues dans le métier, bien qu’elles figurent dans les Fiches de Données de Sécurité (F.D.S.). Encore faudrait il que TOUS les distributeurs de nos matières premières respectent leurs obligations d’information au titre des réglements CLP et REACH, assurent l’étiquetage appropriécet mettent en ligne toutes les F.D.S. sur leurs sites marchands. Encore faudrait -il prendre la peine de les lire et de les mettre en application.
Un consommateur averti en vaut deux.
Joyeux Noël !
(1) source JRC study 2016 « Non-harmonised food contact materials in the EU : regulatory and market situation »
(2) source : Fiche MCDA n°2 (V01 – 01/05/2016) Aptitude au contact alimentaire des matériaux inorganiques (hors métaux et alliages) destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires. VERRE – CRISTAL – CERAMIQUE – VITROCERAMIQUE – OBJETS EMAILLES.
(3)Pratique des émaux de grès. Minéraux et cendres végétales, ISBN : 979-10-96404-19-3